Découvrez 3 textes écrits et/ou rassemblés pour vous par le Nimis Groupe, présent initialement au festival Demain pour présenter une étape de création de son spectacle « Portraits sans paysage« , autour des centres fermés pour étrangers en situation irrégulière…
 
1. De quoi ferons-nous demain ?lire | télécharger
2. Témoignage de Idi détenu actuellement au centre fermé de Vottem lire | télécharger

3. Poème « Malédiction », de Hassan Yassine, auteur soudanais en exil, sur sa réalité de migrant sans-papier dans nos villeslire | télécharger
 
 

De quoi ferons-nous demain ?

 
A tous ceux que nous aurions pu rencontrer lors du festival « Demain », avec qui nous aurions pu débattre, échanger, rêver le monde de demain ou, tout simplement, tisser les liens dont nous avons besoin pour vivre celui-ci, à vous tous, nous souhaitons adresser quelques mots, partager des pensées qui, nous l’espérons, nous donnerons l’envie de nous rassembler une fois le confinement passé. Car, nous présumons que nous aurons besoin de rassemblements. Les mots sont là aujourd’hui, en préambule des actes.
 
Le mépris et la froideur avec lesquels nos dirigeants traitent les étrangers ne cessent d’être dénoncés depuis des années. Mais la crise liée au Covid-19 que nous traversons actuellement ne fait que rendre cette inhumanité encore plus saillante. Comment prendre soin de nos sociétés si nous ne cessons pas de pratiquer la barbarie ? Le refus de mener les politiques adéquates pour accueillir réellement et dignement les personnes les plus démunies – exilés, mais aussi sans-abris, travailleurs du sexe, précaires, etc. – et leur reconnaître des droits entraîne aujourd’hui des situations plus inhumaines encore. Les mondes se replient et laissent à leur bord tous ceux qui sont jugés indésirables.
 
Les nouvelles inquiètantes se succèdent chaque jour, mais peut-être faut-il tout de même les répéter ici.
 
Aucune disposition adéquate n’a été prise concernant la situation des étrangers en Europe face à la crise sanitaire du Covid-19. Le confinement des camps aux frontières de l’Europe – où les conditions d’hygiène sont déplorables – crée des situations dénoncées comme étant de possibles « bombes sanitaires ». Moria, le camp de l’île de Lesbos, compte aujourd’hui 21 000 personnes alors que sa capacité maximale est de 3 000. Comment garder une distanciation sociale dans ces conditions ? Comment prendre des mesures sanitaires dans un endroit où il n’y pas de point d’eau en suffisance et où il faut faire la file pendant trois heures pour avoir accès à une douche ? Et six heures pour avoir à manger ? Où les personnes malades ne reçoivent déjà pas les soins dont elles auraient besoin ? Où les enfants n’ont d’autre endroit pour jouer que l’eau sale des égouts ?
 
Dans les centres fermés en Belgique et partout en Europe, les conditions de détention qui, déjà en temps ordinaires, mettent la santé physique et mentale des détenus en danger, se voient elles aussi aujourd’hui aggravées : le personnel médical – déjà insuffisant – a été mobilisé ailleurs, les visites par les ONG ont été suspendues ne laissant plus que les membres du Parlement ou du Sénat à être autorisés à entrer dans les centres (et encore ! l’Office des étrangers en Belgique a refusé une visite parlementaire au centre fermé de Vottem ), dans certains centres, les détenus n’ont pas été informés des mesures d’hygiène à adopter, etc. La situation est devenue à tel point intolérable que certains détenus en Belgique et en France ont entamé une grève de la faim, préférant « crever de faim que de cette merde ».
A cela s’ajoute le fait que, ces personnes, privées de liberté alors même qu’elles n’ont commis aucun crime, ne peuvent désormais plus être expulsées ; d’une part, parce que les frontières de Shengen sont fermées ; et d’autre part, parce que cela serait contraire aux recommandations de l’OMS. Leur détention, n’étant justifiée que le temps de l’organisation de leur expulsion, est rendue de ce fait illégale. Et pourtant, les mesures d’enfermement se poursuivent et même si des libérations ont lieu, elles ne se font que grâce à des mobilisations, grâce à des personnes qui depuis de nombreuses années et aujourd’hui encore luttent pour que ces lieux d’enferment qui sont la honte de nos sociétés n’existent plus.
 
Car en face de ces politiques du mépris et de l’injustice, en face des défaillances béantes de nos dirigeants, des solidarités continuent de s’inventer : les réseaux d’hébergements préexistants à la crise se sont mobilisés et de nouveaux ont vu le jour, des hôtels ont accepté de loger gratuitement des exilés, etc. Le nombre de procès qu’ont subi récemment des hébergeurs, des hôteliers, des sauveteurs en mer, des sauveteurs en montagne atteste des coups portés sans cesse aux gestes de solidarité. Et pourtant, ces « criminels » s’acharnent à désobéir et à aller à la rencontre des exilés, à les considérer comme des personnes, avec toute leur singularité et leur dignité, tandis que les discours médiatiques et politiques tentent de les faire disparaître derrière des chiffres agrémentés d’images victimisantes et dégradantes. Ils s’évertuent à confondre l’eau sale des égouts avec les enfants qui jouent dedans, à taire leurs responsabilités et ne jamais reconnaître que cette eau sale est celle de leurs politiques abjectes malgré lesquelles des enfants jouent encore, en dépit desquelles ces enfants existent.
 
Mais si les gestes solidaires, humanitaires, ou plutôt tout simplement humains, sont criminalisés, ceux qui répondent à la loi sont-ils efficients ? La réponse est non. Les démantèlements des campements d’exilés pour des raisons sanitaires – « pour leur bien » – ne font que déconstruire les liens avec l’environnement social et les associations locales sans proposer de solutions adéquates de relogements. Lors de ladite « crise migratoire » de 2015, la réponse humanitaire de l’Etat français à la situation à Calais a été de parquer les exilés dans un camp en containers en les obligeant à se soumettre à un contrôle biométrique de reconnaissance palmaire pour pouvoir entrer dans le camp. Comment ne pas voir le caractère déshumanisant d’une telle réponse ? Empilés sur des lits superposés dans des boîtes en tôle froides – comme y étaient entassées auparavant des marchandises en vue de leur transport – les exilés sont arrêtés, immobilisés, stockés, de sorte que leur contrôle devient plus facile. Au devoir de protection, l’Etat substitue la sécurité et la surveillance . Par ailleurs, le scan de l’empreinte palmaire a non seulement contribué à les assimiler à des objets plutôt qu’à des êtres humains mais a aussi grandement entravé leur liberté de mouvement, le règlement de Dublin les obligeant à demander l’asile dans le premier pays de l’Union européenne où ils sont entrés et donc où leurs empreintes ont été enregistrées.
 
La technologie biométrique est aussi utilisée dans le camp de Zaatari en Jordanie où les réfugiés syriens se soumettent au scan de leur iris pour obtenir des denrées alimentaires. Là encore, cette technologie est présentée comme plus fiable et permettant une meilleure protection des personnes. Mais aucune autorisation n’est demandée aux réfugiés pour la prise de l’empreinte de leurs yeux et rien ne permet de savoir ce qu’il sera fait des données ainsi collectées. La logique gestionnaire et technologique qui gouverne aujourd’hui le secteur humanitaire, au lieu de protéger les personnes, les rend ainsi vulnérables sur un autre plan : le plan digital.
 
Ces jours-ci, ces technologies ont fait leur apparition au cœur de nos sociétés. Alors que la crise sanitaire que nous traversons prouve que ce n’est pas sans raison que, depuis des années, les services publics et le personnel hospitalier en particulier réclament plus de soutien de la part des Etats, les technologies de surveillance présentées comme des outils de lutte contre la pandémie entrent aujourd’hui en scène. Dès le début de la crise, des dispositifs de contrôle sécuritaires ont en effet été mis en place pour lutter contre la propagation du virus. Comme cela se passe depuis des années dans le secteur de l’humanitaire, la protection des personnes s’est conjuguée étroitement avec des dispositifs de surveillance qui menacent les libertés fondamentales. On peut alors craindre que les impacts négatifs qu’ils ont eu sur les libertés et les droits fondamentaux dans les camps humanitaires se produisent aujourd’hui ou demain à l’échelle de nombreux pays. Nous ne payons pas encore aux supermarchés avec le scan de notre iris, mais le paiement sans-contact est bel et bien déjà le moyen de paiement répondant le mieux aux mesures sanitaires. On voit des drones surveiller le comportement des populations et l’utilisation des données de géolocalisation des téléphones mobiles est encouragée pour lutter contre la propagation de l’épidémie. Cette technique, encore expérimentale et qui n’a pas prouvé son efficacité, trouve son heure de gloire en cette période où les structures, déjà affaiblies par des années de mépris et de négligence, sont aujourd’hui au bord de l’asphyxie. Cette crise ouvre ainsi à toutes les technologies du numérique, de la sécurité et de la surveillance des terrains de recherche et d’application dans des domaines qui leur étaient jusque-là réticents. Voir ajout avec Pinçon Charlot ; ils n’ont plus besoin d’autant d’humains, les machines de l’intelligence artificielle suffiront
 
Or, si les mesures d’exception qui sont prises aujourd’hui ne sont pas supposées devenir pérennes (espérons-le !), elles laisseront de toute façon « des traces dans les esprits et dans le droit », comme le dit Félix Tréguer, sociologue et membre de l’association de défense des libertés numériques La Quadrature du net . « Il y a un risque de banalisation de certaines techniques de surveillance qui font aujourd’hui débat et de pérennisation de certaines mesures ». Et il ajoute : « On peut se demander si ce solutionnisme technologique n’est pas un palliatif visant à masquer les vrais problèmes, à savoir le manque de moyens et de personnel et d’une manière générale la casse de l’hôpital public ». Les Etats sortent les outils de coercision sans même reconnaître leur responsabilité dans cette crise déclenchée par le Covid-19 et qui est une des conséquences du capitalisme effrené qui nous gourverne depuis des décennies. La plupart des gouvernements actuels ne proposent en effet rien d’autre que de gérer le capitalisme, avec plus ou moins de nuances, mais, à quelques exceptions, ils ne semblent désormais plus en mesure d’y proposer une alternative. La crise d’aujourd’hui met alors particulièrement en évidence le fait que les politiques privilégient de longue date le financement de l’industrie sécuritaire et de la recherche en technologie de surveillance au détriment de la santé publique. Sonia Shah rappelle en ce sens dans un article paru dans le Monde diplomatique que le gouvernement américain a mis un terme en octobre 2019 au programme Predict dont les recherches portaient notamment sur les coronavirus et qu’il avait annoncé début février 2020 sa volonté de réduire de 53 % sa contribution au budget de l’OMS.
 
Comment freiner la dérive de nos sociétés vers des mondes entièrement régis par le numérique et les nouvelles technologies si ce n’est en étant – tout simplement et absolument – humains ? Aujourd’hui que les logiques techniques et gestionnaires se substituent aux gestes humanitaires et que les Etats, à force de criminaliser les actes de solidarité, de mettre à mal l’environnement et d’affaiblir les secteurs du soin et de la santé se sont rendus eux-mêmes criminels, la nécessité de se réunir, d’être ensemble pour repenser et réinventer en profondeur nos collectifs apparaît comme la chose la plus précieuse de nous ayons à faire.
 
En réponse à la crise sanitaire, chaque Etat est en train de se calfeutrer derrière ses frontières. On peut craindre également que les conséquences économiques de cette crise fassent que l’isolement succède au confinement et que la peur de l’étranger trouve une nouvelle fois un terrain où s’épanouir. On peut penser que pendant longtemps encore une certaine fragilité va palpiter au cœur de notre quotidien. Nous aurons alors sans doute besoin de nous fédérer autour de liens humains et d’actes de résistance voire de désobéissance afin que les maux des technologies voués au contrôle social ne viennent pas s’engouffrer dans les brèches ouvertes par le choc de cette crise. Nous aurons sans doute besoin, encore une fois et plus que jamais, d’entendre la parole des exilés qui, dans les camps ou dans les rues, inventent de nouvelles formes d’organisations politiques et expérimentent quotidiennement des pratiques solidaires . Nous aurons sans doute besoin de nous rencontrer, nous écouter, nous mêler les uns aux autres et lutter.
 
Le théâtre comme espace public est un lieu de rassemblement. C’est un espace où le commun s’invente. Il est un art du vivant, de la rencontre. Un art où, devant un public qui a répondu présent, la parole peut être prise et peut être donnée. Aujourd’hui que le confinement rend impossible cette rencontre, nous tenons malgré tout à donner la parole à deux personnes : Idi et Hassan Yassin.
Idi est détenu en ce moment dans le centre fermé de Vottem en Belgique. Il a accepté de témoigner de ce qu’il se passe en ce moment dans ces lieux d’enfermement qui échappent aux regards.
Hassan Yassin est un poète soudanais sans-papier qui vit à Paris. Il a accepté que nous publions ici un de ses poèmes dans lequel s’exprime ce qu’un homme traverse dans l’exil de nos villes.
 
Que ces mots relayés ici – malgré la difficulté des situations qu’elles rapportent – soient prometteurs de rencontres à venir.
 

Anne-Sophie Sterck
pour le Nimis Groupe
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« Vu qu’il n’y a plus de vol qui peut nous rapatrier chez nous, qu’ils nous libèrent. C’est la moindre des choses. »

 
Le texte qui suit rapporte la parole de Idi, détenu au centre fermé* de Vottem depuis janvier. Sa parole a été recueillie samedi 28 mars 2020 par téléphone. Nous vous en proposons une retranscripton.
 
Idi : Forcément quelqu’un qui est en centre fermé, il est en attente soit de repartir chez lui, dans son pays d’origine soit d’être libéré. (…) Cette peur qu’on a de rentrer chez nous. Rester autant d’années en Europe et voilà, retourner les mains vides… C’est mal vu par rapport à la famille et tout ça. Donc, on lutte. Malheureusement, ou bien heureusement je peux dire, ce qui évolue par rapport au coronavirus : on est confronté à… Comment est-ce que je peux expliquer ça…? Ils peuvent plus nous expulser chez nous.
Au début, c’était chaud parce qu’ils ne voulaient pas libérer des gens. Maintenant, ils ont libéré. Parce qu’on était un nombre de 100 personnes. Ils ont libéré la moitié. Donc forcément, ceux qui vont rester ici seront pas contents.
Donc par exemple, moi, mon cas, moi, je peux pas voir qu’on libère des gens alors que nous tous on était dans les mêmes problèmes.
 
On libère la moitié, on laisse la moitié donc. Ça a amené un peu d’émeute ici. Des gens qui ont fait des grèves de la faim, des gens qui voulaient pas quitter le préau, qui voulaient pas retourner dans leurs cellules.
Tu vois, donc moi je veux témoigner de ça. Vu qu’il n’y a plus de vol qui peut nous rapatrier chez nous, qu’ils nous libèrent. C’est la moindre des choses.
 
Alors, voilà, ce qui s’est passé : ils ont libéré par deux, par deux, par deux personnes. Jusqu’à présent il reste 30 personnes. Ici, au niveau du centre, là où je suis.
Maintenant, il y a 75 avocats qui ont fait une pétition pour dire que notre détention est illégale. Et effectivement, elle est illégale.
 
Donc, c’est le combat qu’on est en train de mener. Ça fait maintenant depuis le mois de… voilà, de février… mars qu’on est en train de lutter. Il y a des asbl qui viennent chaque samedi, qui viennent autour du centre avec leur mégaphone pour dire qu’on nous libère.
Et jusqu’à présent ça ne bouge pas, moi pour l’instant, je suis en attente, personnellement, j’ai ordre de quitter le territoire : 8 ans, je dois pas entrer dans l’État belge, Schengen ! l’espace Schengen. Si c’était l’État belge seulement, mais c’est l’espace Schengen.
 
(…)
 
On a eu aussi : deux cas de tentative de suicide.
Il y a deux qui ont essayé de s’échapper. Un, il a le genou cassé, complètement. Il a monté les barrières, il a sauté les barrières, parce que les barrières, il y a des fils barbelés en haut. Donc, moi, de mon point de vue je vois que voilà, ça c’est une personne désespérée. Les gens qui se trouvent ici, au niveau du centre fermé, ils sont désespérés. Ils arrivent plus à manger. Il y a le coronavirus dans la famille dehors. Certains même ont pris le risque de monter les barbelés jusqu’à se péter leurs genoux, emmener à l’hôpital. Même ça on te libère pas.
 
(…)
 
Il y en a d’autres qui ont préféré faire la grève de la faim. Ils sont restés 25 jours, 30 jours sans manger. A l’heure où je te parle il y a des détenus qui sont ici… euh… des résidents pardon, parce qu’on est pas en prison : des résidents ! qui sont en grève de la faim. Parce que ceux en grève de la faim, aussi, ils sont libérables. Il faut avoir la tension qui baisse jusqu’à 0-7. Si tu as la tension qui baisse jusqu’à 0-7… Non ! 0-5 ! Pardon. 0-5, ils te libèrent.
 
Voilà. Donc, moi, je témoigne : la détention des centres fermés de Belgique, actuellement, tous les résidents qui se trouvent dedans, ils sont détenus illégalement. Que l’État belge, ou je ne sais pas qui, fasse quelque chose. Parce que c’est des gens qu’on peut plus expulser chez eux. Parce qu’il y a plus de gardes à bord, il y a plus de vol. Toutes les frontières sont fermées. Donc qu’ils libèrent les gens, qu’ils aillent retrouver leurs familles. Moi, c’est mon témoignage personnel. Et actuellement, franchement, en toute vérité, euh… c’est chaud, là où nous sommes parce que, voilà, on ne sait plus comment faire. Peut-être c’est le directeur qui va prendre une décision, je ne sais pas, ça je ne saurai pas dire. Mais ce que je sais avec mes camarades de lutte qui sont ici, très fatigués, on veut rentrer chez nous.
 
Ça… on veut rentrer chez nous, franchement.
 
– Et là vous êtes encore 30 dans le centre ?
 
On est au nombre de 34 dans le centre.
 
– Et comment ça se passe avec les gens qui travaillent dans le centre ? Vos relations avec eux ?
 
Les gens qui travaillent dans le centre, au début, ils venaient tous, les gens qui travaillent venaient travailler. Mais, avec le corona il y en a qui ne viennent pas travailler. Bon. Particulièrement, aujourd’hui, on est en manque d’éducatrices parce que, elles, elles disent que voilà, eux, ils veulent plus venir travailler. Donc, ça, ça nous donne raison pour nous aussi de rentrer chez nous !
 
Nous, de notre point de vue, on a peur d’être contaminés malgré qu’on est pas dehors. Mais, eux les agents, comme les éducatrices qui travaillent ici, ils vont venir travailler et rentrer chez eux. C’est eux qui nous donnent à manger, qui donnent les trucs. Donc, vu le confinement, on dit il faut respecter les distances de sécurité de 1m et tout ça, voilà. Donc, tout ça, c’est des risques quoi. Parce que, pour nous, c’est pas agréable.
 
– Et le centre a mis ces mesures de sécurité en place?
 
Ici, ils ont rien mis, non, non, non, ils ont rien mis. Ils ont certainement dû juste diminuer le nombre de gens. Parce que, ici, il y 4 ailes, chaque aile prenait maximum 45-50 personnes. Voyez ce que je veux dire. Donc, vu le commencement du confinement et tout ça, c’est ça qu’ils ont libéré la moitié. Et ceux qu’ils ont laissé passer, c’est des cas graves. Des cas qui étaient malades pulmonaires, des cas que… vraiment des gens qui étaient malades. Ils les ont libérés, maintenant ils ont pas pris des mesures pour, pour, pour dire je sais pas… pour les gens, non, non. Rien de ça, voilà.
 
– Il n’y a donc pas de distanciation sociale avec les travailleurs du centre ?
 
Non, non, non, ils sont en contact avec nous. C’est eux qui nous donnent à manger, parce qu’ils sont obligés, par exemple, pour faire le café, obligé qu’il te le tend avec la main. T’es d’accord. Ça c’est pas des distances d’1m50. Depuis deux mois, c’est ça qu’on vit. Et le rituel de service des surveillants n’a pas changé. Ça continue, on est en contact avec eux, on continue à faire les affinités qu’on connaît.
 
– Et vous avez accès à des soins de santé?
 
Oui, oui. On a une infirmière qui vient chaque matin vérifier les résidents, regarder si tu es en bonne santé ou s’il faut quelque chose. Après, elle écrit, elle transmet ça au médecin. Si c’est un cas grave, on a une infirmerie ici. Si c’est un cas grave ou bien, euh, une blessure, on peut t’emmener à l’infirmerie. Il y a une infirmerie ici.
 
– Comment sont prises en charge les personnes en grève de la faim ?
 
Ils restent dans leurs cellules. Chaque matin, il y a l’infirmier qui vient prendre la tension. Pour vérifier, si tout va bien. Du moment que tu fais la grève de la faim, inch allah, et que tu fais 0-5 de tension. Eux, il vont prendre ici, une ambulance et ils vont t’emmener à l’hôpital de Liège. Et c’est de là-bas, le médecin qui va donner l’ordre qu’on te libère. On a 4 résidents qu’on a libérés comme ça. Le confinement a commencé comme ça, ceux qui font la grève de la faim, ils sont toujours ici.
 
– Comment le centre a réagi quand vous vous êtes rebellés contre votre détention pendant cette période de confinement?
 
Mal ! Ils t’emmènent au cachot ! Moi-même, qui te parle, on m’a emmené au cachot combien de fois ? Combien ? 5 jours j’ai été au cachot. On t’emmène au cachot. Tu vas faire là-bas une semaine et après, on te libère, on t’amène en isolement. Moi qui te parle, je suis à l’isolement.
 
– Qu’est-ce qui te permettait de tenir quand tu étais au cachot?
 
Le sport et la lecture. Ouais, parce là je sais que je n’ai plus droit à la télévision, plus droit à rien. Ça rend dingue, total ! Ça rend dingue parce que… ça c’est le pire, ça rend fou, fou, fou, fou. Chaque demi-heure… J’ai droit même pas à un briquet ! Chaque demi-heure, le surveillant vient m’allumer ma cigarette. J’allume ma cigarette, je continue ma lecture. Si je suis fatigué, je dors, je me réveille. Je continue, je fais un peu de pompe. Ou bien voilà, je suis là. Et l’heure tourne. Mais ça rend fou. Je parle tout seul, je fais des gestes fous, je deviens fou direct. Ouais, sérieux, je deviens fou. Moi je joue de la guitare, ça m’a beaucoup aidé, moi, parce que dans le cachot, je peux imaginer un rythme dans ma main, ou quelque chose, tu vois. Du coup, ça aide aussi un peu.
 
– Et maintenant, tu vas rester combien de temps en isolement?
 
Jusqu’à… le directeur décide. Moi, ça fait 2 mois que je suis à l’isolement.
 
– Et le moral, comment ça va?
 
Ah le moral, ça va bien, le moral, parce que nous on est croyant, le moral on dit que voilà, c’est une chose, une épreuve qu’on doit surmonter parce que ça finira un beau jour. Mais moi, franchement, moi, je fais pas la grève de la faim, je vous le dis, moi j’ai jamais fait la grève de la faim. Ceux qui ont fait la grève de la faim, soi-disant, que, voilà, ils vont les libérer. Si ils vont les libérer, parce que j’en connais… je t’ai expliqué tantôt. Je reviens un peu en arrière. Des gens qui ont fait la grève de la faim 17-18 jours, ils ont pas été libérés, il y en a qui ont fait 9-10 jours on les libère. Ça dépend de ton cas de tension, quoi, tu vois? Parce qu’ils veulent pas prendre de risque que quelqu’un meure ici dans leurs bras. Et le plus étonnant, c’est qu’il y a des gens qui se coupent avec des lames ! Il y en a qui se coupent ! Tu vois, le sang partout ! Pour être emmené à l’hôpital, tout ça. Voilà.
 
En fait, le centre fermé, c’est comme la prison, voilà, on est comme détenus. Tu vois ? Dans la prison de Lantin, les détenus ils se sont révoltés. Mais, nous ici, ils nous ont divisés juste pour empêcher ça. Ils ont préféré diviser les gens. Pour le moment, je sais bien, on parle pas de mon cas, mais j’aimerais que la population se réveille, qu’ils savent aussi que durant cette période, aussi, je sais bien que dehors aussi c’est pas facile, mais il y a ici des gens qui souffrent ! A l’intérieur, en silence, hein !
 
(…)
 
On est enfermé H24, ça suffit pas de prendre une heure de préau, tu reviens… Après, psychologiquement, tu pètes les plombs ! La tête, tu vois.
Psychologiquement, tu pètes les plombs. Y a rien à faire, tu es enfermé dans combien de mètres carrés ? Je sais pas 10 mètres carrés. Des jours et des jours, des semaines, des semaines, des mois ! À la fin tu deviens fou, hein !
C’est ça, tu vois les gens fous partout. Enfermer une personne comme… je sais pas… Moi, je te dis, on a eu un cas grave, le gars à la fin il n’en pouvait plus. Il y a eu des morts ici ! A Vottem ! Des morts ! Suicide, direct. L’autre jour, on a trouvé une personne ici, il a mis ses lacets de chaussures autour du cou, bam ! Direct. Il est mort. Il y en a un autre qui a essayé de se suicider, on l’a transféré dans un autre centre. Lui on a réussi, d’après les informations, on le connaissait bien, à le rapatrier en Russie.
 
– Il venait de faire une tentative de suicide et on l’a renvoyé en Russie?
 
Ouais. On l’a emmené d’abord à hôpital, le jour où il revient vivre, on le transfère de chambre, on l’emmène dans une autre chambre qui était à Brugges chez les Flamands… Et de là-bas, deux, trois jours, on l’a mis dans un vol direction Russie.
 
– Comment tu envisages la suite pour toi ?
 
Moi, ma suite, d’ici la semaine prochaine je te dis je suis déjà dehors. Parce que je suis en collaboration avec des associations, des avocats qui sont en train de lutter pour fermer les centres d’illégaux et tout ça. C’est eux qui sont nos soutiens dehors, de solidarité, sur nos dossiers qui trouvent des avocats. Voilà, la suite comme on l’envisage, c’est de sortir d’ici le plus rapidement possible et d’aller retrouver notre famille.
 
Deux jours après notre conservation, Idi nous a rappelés. Plus tôt dans l’après-midi ce jour-là, de retour dans sa cellule après l’heure de promenade, Idi a été pris d’une violente crise de nerf. Une dizaine de gardiens ont été mobilisés pour le calmer. A cette fin, il a été menotté les mains dans le dos, les jambes entièrement entravées par de larges bandes de scotch, coiffé d’un casque de contention, transporté au cachot et laissé allongé sur le ventre incapable du moindre mouvement pendant plus de trois heures. Idi nous appelait donc depuis le cachot où on l’avait reconduit et cela pour une durée qui lui était inconnue.
 
*Dans la législation, les centres fermés ont pour fonction l’enfermement des personnes en séjour irrégulier.
Dans un centre fermé sont détenues des personnes soit parce qu’elles sont en situation irrégulière, ne possédant pas les documents requis ou n’étant pas dans les conditions leur permettant d’entrer ou de séjourner légalement en Belgique, soit parce qu’elles sont en attente d’une décision de l’Office des étrangers suite à leur demande d’asile.
Un centre fermé n’est pas considéré dans les textes comme une prison, dans la mesure où c’est une institution qui ne dépend pas du Ministère de la Justice, qui n’est pas soumise aux règlements des prisons, mais à un arrêté royal propre. Le point commun entre les centre fermés et les prisons est leur fonction, la privation de liberté. Mais cette fonction est remplie dans des buts différents : la prison est une sanction dans le cadre d’une transgression à la loi, le centre fermé est une étape dans une procédure d’expulsion.
Pour plus d’informations consulter le site : www.gettingthevoice.out

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Malédiction

 
Moi qui tiens secret le cordon qui me relie à l’utérus céleste
J’entends crier le vent et ça geint tout autour
Quand on discute ensemble, moi et les roses
 
Je kiffe le chant des murs qui m’écrasent
Mon amie la peur me tient aux tripes
C’est le rien qui me soutient.
 
Passants, n’implorez pas la miséricorde de Dieu sur moi
Comme si j’étais un réprouvé croulant sous les fautes
Et qui en appelle à la divinité
 
Passez, votre chemin sans pitié ni regard
Ou plutôt donnez-moi un grand sac poubelle bien noir
Pour m’y empaqueter
Avec ma tristesse
Ma défaite
Mon néant
J’en ferai ma tambouille et je l’avalerai
 
Filez-moi du feu
Comme ça je pourrai brûler
Tout ce qui me pollue la vie
 
Je suis comme une charogne en plein Paris
Je pue
Je révulse vos longs corps parfumés et fleuris
J’excite votre haine envers moi et les miens
Tous ceux que les guerres en rafales ont criblés
 
Je suis comme une charogne où logent les vers
Et même les vers quand ils me mangent
Ne me voient pas comme un régal
Ni comme une recette mémorable
 
Je ne connais pas la date de ma mort
Mais j’ai besoin de retrouver mon souffle
Et clore mes paupières
Pour les ouvrir enfin sur l’au-delà
 
Je n’ai plus d’appétit, plus de goût
Rien ne m’attire
Pas même mon enfant, le fruit de mes entrailles
Rien ne me séduit
Pas même celle qui forme ma moitié
Et ouvre à ma pénétration
Tout l’inconnu du désir.
Priez Dieu que ma faim me revienne au plus vite
 
Dès que j’entre dans votre champ de vision
Je vous vois tressaillir de dégoût
Faites-moi quitter ce monde sophistiqué, je n’y ai pas ma place
 
Je suis indéfini, sans identité, sans papiers
Rien qu’un tas
Un ramassis de saletés à vos portes
 
Je préfère mourir au combat
Pour devenir enfin quelqu’un : ange ou démon
Je ne veux pas d’une mort lente
 
Ah ! Si seulement les roses pouvaient pousser sur mon cœur
Me parfumer les poumons
Faire une beauté à ma vermine
Alors mon cœur battrait au son des cloches
 
Vos prières ont pouvoir de m’envelopper, mais…
Je suis un corps
Une dépouille en décomposition qui vous regarde
Et si elle est en train de puer
C’est parce que vous refusez de la reconnaitre
Dans votre indifférence
Votre mépris
 
Même l’eau perd son cours jusqu’à moi
Et les toutous me regardent de haut
Dans leurs belles cuissardes et leurs gants
Ces chiens, qui jouissent d’un pedigree, d’un coussin à leur nom
Dont l’encolure s’orne de bijoux sertis de pierres
… Et avec tout ça, vous n’avez pas un mot pour moi !
 
Quoi de plus violent, pour désigner un homme que ce mot : « Réfugié »
 
Dieu tout puissant
Quand jetteras-tu les yeux sur moi
Pour donner, dans ta bienveillance,
Ordre à mon cœur de s’arrêter
Ce cœur rempli de roses empoisonnées
Ce cœur qui sans arrêt bat, s’exténue, me dérange !!!
 
Les couches de saleté se superposent sur ma peau
Et dégagent une chaleur si dégueulasse
Qu’elle incommode les poux dans mes cheveux
 
Hé, les passants, écoutez-moi
Je suis un migrant
Qui a surmonté toute la décomposition en Méditerranée
Pour venir pourrir dans vos rues
Ces rues nettoyées à grande eau chaque matin.
 
Et moi là ? !!!
Je suis le mensonge de votre monde
Je suis cette humanité qui fait les gros titres
On s’active à des stratégies dans vos Mairies
Pour se débarrasser de moi
On crée des commissions
On dépense des sommes colossales
Pour me déraciner.
 
Alors je ne sais plus si je suis un bout de viande
Ou un morceau d’asphalte
 
Je n’existe pas dans le rétroviseur du monde
 
Vous, mes frères dans les centres de rétention
Vous qui attendez qu’on vous réexpédie aux tortionnaires
Vous qu’on assassine au non des conventions internationales
Vous qui fuyez Lampedusa
Et ses foutues empreintes
Les bains de sang africain
Voilà que vous vous retrouvez plus bas que la terre
Pourquoi ?
 
Parce que je suis un réfugié saturé de pestilence
Etendu sans espérance
Dans le chaos
 
Je meurs avec le silence des lucioles
Caressé par des papillons multicolores
Parce que je suis une malédiction dans le viseur
 

انا اللعنة
 
أتدلى من حبلي السري
المعلق برحم السماء
استمع الي صرخات الريح.
ونواح الارجاء
أحدث الزهرات حولي
واعشق غناء الجدران
جدران تسجننني خارجها
والخوف صديقي الذي فيني
لا شيء يعطيني الامان
 
ايها العابرون امامي
لا تسألوا لي الرحمة
كسائل مولع بالخطايا
یستغیث الاله
تجنبوا مشاهدتي.
لا تمنحوني الرأفة
.امنحوني كيسا اسود
اجمع فيه اسفي وهزيمتي ونكراني.
بنيه مضغه وابتلاعه
 
امنحوني اعواد كبريت
احرق بها قذارتي
 
انا جيفه امنحكم الروائح الكريهة
والكراهية لأبدانكم الممشوقة.
المعطرة بعبق ورد باريس
 
امنحكم الكراهية للجنس البشري
والمسوخ امثالي
الذي تهاطلت عليه هويلات الحروب
 
انا جيفه اتخذت الديدان مني مقرا
لست اخر احلامها او موطنها
ولن اظل من بقايا ذكرياتها
لا أدري موعد موتي
 
احتاج الشهيق بعمق
لكي اغلق جفني وأصحو في البرزخ الاخر
لا اشتهى شئنا ولا شئ یوغرینی
لأقبله بخد القادم مني
.ولا ایلاج قطعه مني.
في مهابل الامنيات المجهولة
صلوا ليأتي أجلى باكرا
مجرد النظر الي يمنحكم الاشمئزاز.
 
دعوني ارحل عن عالمكم المنمق
فلا وجود لي داخله
انا نكره بلا هوية بلا اوراق
انا مجرد كتله من القذارة امام ابوابكم
ذاهب الي غيبوبة الاستشهاد الطوعي
عسى ان أصبح ملاكا او شيطانا
 
لا اريد لميتتي البطء
اه لو تنمو الزهرات على قلبي
وتعطر رئتي وتتزين به ديداني
ونبضي يقاسم اجراس الكنائس حنينها
صلواتكم تحتضن خوفي لك
 
لا استحق كلمة جسد
لان جثتي المتعفنة تلمحكم
مجرد جيفه تعفنت لنكرانكم
الماء ضرير فقد الطريق الي
حتى كلابكم تنظر الي باندهاش
كلابكم المزينة بجوارب وقفازات.
كلابكم التي تملك اوراق وهويه واسماء
ووسادات واطواق مرصعه بالجواهر
تراقبني باندهاش
 
ايها الاله المبجل
.متي تنظر الي بعين الشفقة
لتمنح قلبي امر التوقف
ذلك المملوء بالزهار المسمومة
تلك الكتلة داخلي لاتكل ولأثمل.
نبضه يرهقني يضجرني.
اسؤا ما يطلق على الانسان
لاجئ!
 
طبقات من القاذورات تغطي جلدي
منحتني الدفء النتن
الروائح العطرة تعكر صفو القمل تحت فروتي.
ايها العابرون …امامي
انا مهاجر نجوت من التخمر في المتوسط
لا تخمر في طرق باغي
المغسولة مع كل فجر. عداي انا
 
انا أكذوبة هذا العالم.
انا تلك الأدمية الإعلامية
في مؤتمرات بالبلدية
يدبرون الخطط للتخلص مني.
يصرفون اموالا » طائلة
أقاموا الآف اللجان.
لاجتثاثي من عروق الاشجار التی تسربلت
 
فلا اعلم هل انا بقايا لحم ام قطعه اسفلت
هذ العالم يمنحني النكران.
اخواني العائدون الي مصير التعذيب والافتراء.
المقتولون باسم المعاهدات الدولية.
الناجين من عسكر روما.
وبصمات الشؤم.
القادمين من انهار الدم الافريقي
العائدون الی الحضيض
لکن لماذا؟
لأنني لاجئ مملوء بإنتانه
اتمدد مشلول التمني
حائر اموت في صمت اليراعات
تمضغني فراشات ملونه
لأنني لعنه مقصودة
ع

 
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